La Goutte et l'Araignée
JEAN de LA FONTAINE
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Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée, "Mes filles, leur
dit-il, vous pouvez vous vanter D'être pour l'humaine lignée Egalement à
redouter. Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter. Voyez-vous ces
cases étrètes, Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ? Je me
suis proposé d'en faire vos retraites. Tenez donc, voici deux bûchettes ;
Accommodez-vous, ou tirez. - Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui
me plaise. " L'autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins De ces
gens nommés Médecins, Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise. Elle
prend l'autre lot, y plante le piquet, S'étend à son plaisir sur l'orteil
d'un pauvre homme, Disant : "Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet Jamais Hippocrate me somme."
L'aragne cependant se campe en un lambris, Comme si de ces lieux elle
eût fait bail à vie, Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie, Voilà
des moucherons de pris. Une servante vient balayer tout l'ouvrage. Autre
toile tissue, autre coup de balai. Le pauvre Bestion tous les jours
déménage. Enfin, après un vain essai, Il va trouver la Goutte. Elle
était en campagne, Plus malheureuse mille fois Que la plus malheureuse
Aragne. Son hôte la menait tantôt fendre du bois, Tantôt fouir, houer.
Goutte bien tracassée Est, dit-on, à demi pansée. "Oh! Je ne saurais
plus, dit-elle, y résister. Changeons, ma soeur l'Aragne." Et l'autre
d'écouter : Elle la prend au mot, se glisse en la cabane : Point de coup
de balai qui l'oblige à changer. La Goutte, d'autre part, va tout droit se
loger Chez un Prélat, qu'elle condamne A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte De faire aller le
mal toujours de pis en pis. L'une et l'autre trouvèrent de la sorte son
conte ; Et fit très sagement de changer de logis.
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