L'AIGLE ET L'ESCARBOT
JEAN de LA FONTAINE
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L'Aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin, Qui droit à son terrier
s'enfuyait au plus vite. Le trou de l'Escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte Etait sûr ; mais ou mieux ? Jean Lapin s'y
blottit. L'Aigle fondant sur lui nonobstant cet asile, L'Escarbot
intercède, et dit : "Princesse des Oiseaux, il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux ; Mais ne me faites pas cet
affront, je vous prie ; Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux : C'est mon voisin, c'est
mon compère. " L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot, Choque de
l'aile l'Escarbot, L'étourdit, l'oblige à se taire, Enlève Jean Lapin.
L'Escarbot indigné Vole au nid de l'oiseau, fracasse, en son absence,
Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce espérance : Pas un seul ne
fut épargné. L'Aigle étant de retour, et voyant ce ménage, Remplit le
ciel de cris ; et pour comble de rage, Ne sait sur qui venger le tort
qu'elle a souffert. Elle gémit en vain : sa plainte au vent se perd. Il
fallut pour cet an vivre en mère affligée. L'an suivant, elle mit son nid
plus haut. L'Escarbot prend son temps, fait faire aux oeufs le saut : La
mort de Jean Lapin derechef est vengée. Ce second deuil fut tel, que l'écho
de ces bois N'en dormit de plus de six mois. L'Oiseau qui porte Ganymède
Du monarque des Dieux enfin implore l'aide, Dépose en son giron ses
oeufs, et croit qu'en paix Ils seront dans ce lieu ; que, pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre : Hardi qui les irait là
prendre. Aussi ne les y prit-on pas. Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du Dieu fit tomber une crotte : Le dieu la secouant jeta les
oeufs à bas. Quand l'Aigle sut l'inadvertance, Elle menaça Jupiter
D'abandonner sa Cour, d'aller vivre au désert, Avec mainte autre
extravagance. Le pauvre Jupiter se tut : Devant son tribunal l'Escarbot
comparut, Fit sa plainte, et conta l'affaire. On fit entendre à l'Aigle
enfin qu'elle avait tort. Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le Monarque des Dieux s'avisa, pour bien faire, De transporter le temps
où l'Aigle fait l'amour En une autre saison, quand la race Escarbote Est
en quartier d'hiver, et, comme la Marmotte, Se cache et ne voit point le
jour.
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