CONTRE CEUX QUI ONT LE GOÛT DIFFICILE
JEAN de LA FONTAINE
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Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope Les dons
qu'à ses Amants cette Muse a promis, Je les consacrerais aux mensonges
d'Esope : Le mensonge et les vers de tout temps sont amis. Mais je ne me
crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions ; On le peut, je l'essaie ;
un plus savant le fasse. Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau J'ai
fait parler le Loup et répondre l'Agneau. J'ai passé plus avant : les Arbres
et les Plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne
prendrait ceci pour un enchantement ? "Vraiment, me diront nos Critiques,
Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d'enfant. -
Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d'un style plus
haut ? En voici : "Les Troyens, "Après dix ans de guerre autour de leurs
murailles, "Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens, "Par mille
assauts, par cent batailles, "N'avaient pu mettre à bout cette fière Cité,
"Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, "D'un rare et nouvel
artifice, "Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, "Le vaillant
Diomède, Ajax l'impétueux, "Que ce Colosse monstrueux "Avec leurs
escadrons devait porter dans Troie, "Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes
en proie : "Stratagème inouï, qui des fabricateurs "Paya la constance et
la peine. " - C'est assez, me dira quelqu'un de nos Auteurs : La période
est longue, il faut reprendre haleine ; Et puis votre Cheval de bois,
Vos Héros avec leurs Phalanges, Ce sont des contes plus étranges
Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix : De plus, il vous sied
mal d'écrire en si haut style. - Eh bien ! baissons d'un ton. "La jalouse
Amarylle "Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins "N'avoir que
ses Moutons et son Chien pour témoins. "Tircis, qui l'aperçut, se glisse
entre des saules ; "Il entend la bergère adressant ces paroles "Au doux
Zéphire, et le priant "De les porter à son Amant. - Je vous arrête à
cette rime, Dira mon censeur à l'instant ; Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu : Remettez, pour le mieux, ces deux vers à
la fonte. - Maudit censeur, te tairas-tu ? Ne saurais-je achever mon
conte ? C'est un dessein très dangereux Que d'entreprendre de te plaire.
" Les délicats sont malheureux : Rien ne saurait les satisfaire.
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